Franchir les étapes de la conscience : l’amour

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Aimer et être amoureux.

Dans l’état amoureux, d’une façon involontaire et spontanée, la personne “ remarquée ” produit un effet d’attraction. Sa présence devient une source de plaisir. Son absence engendre un sentiment de manque. Ce besoin de l’autre incite à rechercher son contact. L’être remarqué est idéalisé si bien que ses défauts (ce qui nous frustre) sont entièrement voilés par ses qualités (ce qui nous gratifie) qui sont amplifiées. La crainte de perdre une telle personne idéalisée éveille l’insécurité affective et le désir de la posséder pour sa satisfaction exclusive. La jalousie peut faire son apparition quand autrui semble s’intéresser à la personne remarquée. Le temps passe et l’être possédé se “ fane ” au fur et à mesure qu’il est connu dans toute sa réalité et non seulement dans ses qualités idéalisées. Source de plaisir à ses débuts, l’être remarqué devient mal-aimé parce qu’il engendre la frustration. C’est l’étape où bien des relations amoureuses meurent à moins que “ l’expérience d’être amoureux ” évolue vers “ l’expérience d’aimer ”, car être amoureux n’est pas aimer et bien des blessures d’amour découlent de cette confusion. En effet, tomber amoureux et aimer sont deux expériences distinctes. On ne choisit pas de “ tomber ” amoureux et cette “ chute ” a été préparée depuis bien longtemps. Nous sommes depuis l’enfance programmés pour tomber amoureux d’un certain type de personnes en particulier. On ne tombe jamais amoureux par hasard. Notre inconscient conditionné est en alerte et nous mettra tôt ou tard en présence de la personne qui déclenchera en nous ce mouvement d’attraction et ce sentiment de manque. Notre inconscient agit comme un radar qui détecte le moment venu, la personne idéale, qui n’est en fait qu’idéalisée. On ne peut tomber amoureux de tout le monde ; seules certaines personnes spécifiques stimuleront notre détecteur intérieur, ces personnes dont nous avons besoin ou, plus précisément, dont notre inconscient a besoin pour résoudre les conflits très anciens qui ne se sont jamais résolus. L’inconscient cherche à cicatriser une blessure ancienne jamais complètement refermée. Et le destin fait que la plaie mal guérie s’ouvre à nouveau dans ses tentatives de guérison, la douleur accompagnant si souvent l’état amoureux. À travers l’état amoureux, l’inconscient ne fait que rechercher une occasion de guérison pour refermer cette plaie interne causée par un amour que nous n’avons jamais reçu autant que nous en avions besoin. L’être amoureux tente de recevoir, a travers la relation, l’amour de papa-maman qu’il n’a jamais reçu à satiété et, dès qu’il croit posséder cet amour, surgit l’insécurité, car avoir l’amour, c’est aussi avoir peur de le perdre. L’état amoureux est l’expérience qui nous fait le plus ressentir notre manque de l’autre, besoin de cet autre aimé, inséparable de notre crainte de le perdre et de notre désir de l’avoir à soi, pour soi. Ce sentiment de manque n’est que la pointe de l’iceberg de notre insatiable besoin de “ recevoir ”, de nous voir comblé par l’autre, comme le bébé est comblé par le sein. L’autre ne répondra jamais complètement à notre besoin, à notre manque, à notre demande, car personne n’est fait sur mesure pour nous. L’état amoureux fait miroiter la promesse de cet autre fait à la mesure de notre satisfaction personnelle, mais l’autre n’est pas que nourricier, il est aussi frustrant. Et il ne peut en être autrement. L’être amoureux est enchaîné à l’autre pour le meilleur tant qu’il est là et pour le pire quand la chaîne se rompt dans la douleur de la perte.

L’état amoureux n’est que “ passage, chemin ” vers l’amour véritable qui est un long sentier dont à un bout, il y a la demande d’amour (être amoureux) et à la fin, le don d’amour (aimer). L’état amoureux n’est donc qu’un passage qui doit conduire à l’amour en soi et hors de soi dans un véritable acte d’aimer.

L’amour conditionné et conditionnel.

Nous ne vivons pas toutes nos histoires d’amour avec la même intensité. Mais quelle que soit l’intensité de l’émotion amoureuse qui se manifestera en nous, elle sera toujours conditionnée par les expériences que nous aurons vécues dans l’enfance. Les histoires d’amour que nous vivons avec papa-maman conditionnent nos histoires d’amour futures. Ces secondes sont des tentatives pour compléter les premières qui se sont terminées plus ou moins mal.

Notre façon d’aimer est donc “ conditionnée ” par notre passé et elle est aussi “ conditionnelle ”. Nous aimons, mais seulement à certaines conditions et sans ces conditions, nous n’aimons plus, nous détestons. Quand l’autre fait quelque chose que l’on n’aime pas, notre amour s’éteint. Quand l’autre ne nous gratifie plus, n’est plus à notre unique disposition, on se sent frustré, on lui fait des reproches, on le dévalorise. Nous aimons à la condition que l’autre réponde à nos besoins. Bref, quand l’autre nous gratifie, nous l’aimons, quand il nous frustre, nous ne l’aimons plus. Voilà ce qu’est “ l’amour conditionnel ”. Pour vérifier si nous aimons d’une façon conditionnelle, il suffit de nous demander comment nous nous sentons et pourquoi, chaque fois que notre relation affective privilégiée tourne mal. Quand ça va mal, nous allons sans doute prendre conscience que nous sommes frustrés, déçus et si nous nous demandons pourquoi, nous allons découvrir que l’autre ne fait pas exactement ce que nous aimerions qu’il fasse, que ses comportements ou ses attitudes nous déplaisent, en somme, qu’il ne nous gratifie plus, ne nous satisfait plus, ne nous donne pas ce que nous croyons devoir recevoir et avoir droit. Très souvent, nous devons constater que notre amour est conditionnel aux gratifications que l’autre nous procure. Et ce n’est pas par hasard que nous aimons de cette façon. C’est parce que, tout simplement, nous apprenons à aimer de cette façon. En effet, il s’agit de regarder nos histoires d’amour avec papa-maman, pour le comprendre. Au commencement était “ l’amour inconditionnel ”. Bébé est aimé sans condition, on le lave, on le berce, le change, le nourrit sans attendre en retour quoique ce soit, c’est un amour gratuit. À ce stade, tout ce que peut faire le bébé est de recevoir de la nourriture physique comme de la nourriture affective. Pour le nourrisson, toute frustration est vécue comme un danger de mort et toute gratification correspond à un amour infini. Puis, l’enfant grandit, c’est là que l’histoire d’amour avec papa-maman prend une autre tournure. Commence alors le stade de “‍ l’amour conditionnel ”. Pour avoir droit à l’amour parental, l’enfant doit dorénavant se soumettre aux exigences, il doit obéir. En retour de son obéissance, il reçoit l’amour de ses parents. Par contre, s’il ne répond pas à leurs attentes, il perd leur amour et devient le “ vilain ” garçon ou la “ vilaine ” fille. L’enfant ne reçoit l’amour parental que s’il est gratifiant (obéissant) pour les parents. N’est-ce pas la façon dont nous avons été aimés dans l’enfance : “ Si je suis conforme à ce qu’attend et espère de moi papa-maman, j’ai droit à cet amour, sinon… ”. Après tout ce conditionnement, il n’est pas surprenant que notre façon d’aimer soit calquée sur ce modèle. En tant que parent, nous avons des enfants obéissants et, en tant qu’adultes, un partenaire gratifiant. Dans les deux cas, il s’agit qu’autrui réponde à nos attentes et à nos besoins. S’il doit en être ainsi dans notre enfance afin que l’on apprenne les règles du jeu social, peut-il en être autrement dans notre vie d’adulte ?

Selon Henri Laborit : “ Aimer l’autre, cela devrait vouloir dire que l’on admet qu’il puisse penser, sentir, agir de façon non conforme à nos désirs, à notre gratification, accepter qu’il vive conformément à son système de gratification personnel et non conformément au nôtre. Mais l’apprentissage culture au cours des millénaires a tellement lié le sentiment amoureux à celui de possession, d’appropriation, de dépendance par rapport à l’image que nous nous faisons de l’autre, que celui qui se comporterait ainsi par rapport à l’autre, serait en effet qualifié d’indifférent  ”.

L’impasse de l’amour conditionnel.

L’amour que nous vivons est un amour conditionné et conditionnel. Nous aimons à travers les conditionnements de notre inconscient qui nous fait tomber amoureux avec la personne qui, à nouveau, nous essaierons de régler des vieilles blessures d’amour enfantines et nous l’aimons tant qu’elle nous “ nourrit ”. Nous l’aimons d’une façon conditionnelle aux satisfactions qu’elle nous procure et nous devons reconnaître que, même avec les meilleures intentions du monde, si elle nous blessait émotionnellement, nous serions incapables de l’aimer inconditionnellement. La situation semble sans issue. D’une part, il y a l’inaccessibilité d’un amour inconditionnel et, d’autre part, la souffrance découlant d’un amour conditionnel, puisque nécessairement un amour reposant sur la gratification va de pair avec la frustration, car personne n’est préposé à notre satisfaction perpétuelle.

Comment choisir entre la souffrance d’un amour conditionnel et l’inaccessibilité d’un amour inconditionnel ? On ne s’engage pas sur un autre sentier avant d’avoir réalisé que le sentier de l’amour égoïste, conditionné et conditionnel, mène à l’impasse. Il faut d’abord parcourir le premier sentier pour en découvrir un autre. Depuis l’âge où nous avons perdu le droit à l’amour inconditionnel, nous avons dû mettre au point des stratégies de quête pour obtenir l’amour vital dont nous avions besoin. Lorsque l’enfant atteint l’âge où l’amour devient conditionnel, il apprend rapidement que certains comportements et certaines émotions lui attirent des reproches associés à un retrait d’amour. Il lui faut donc éviter ces comportements et ces émotions, ou, du moins, éviter de les manifester aux yeux d’autrui. Une double censure commence alors à s’opérer. Certaines émotions sont censurées en étant refoulées dans l’inconscient et l’enfant peut effectuer également une censure consciente en réprimant ou en cachant ce qui entraînerait une dévalorisation ou une punition. Et, peu à peu, l’enfant apprend que, pour recevoir l’amour dont il a besoin, il lui faut bien “ paraître ” aux yeux d’autrui. Il apprend à paraître et désapprend à “‌ être ”. Au fur et à mesure que le petit ego se construit, il se divise en deux : le moi pour soi et le moi pour autrui. Autrement dit, l’ego privé et l’ego public qui, bien sûr, est le plus “ beau ”, celui qui est le plus acceptable mais non le plus vrai. La vie devient alors une cachette ; il ne faut surtout pas qu’autrui découvre notre moi privé considéré comme peu aimable et, peu à peu, on finit par ignorer dans une bonne mesure ce que ce moi privé renferme. C’est là la stratégie standard utilisée dans notre quête d’amour quotidienne. Refoulement, répression, le tout pour bien paraître en cachant notre être réel qui risque d’être mal accepté. C’est l’opération de base, à laquelle personne n’échappe.

Nous sommes souvent plus créateurs que cela dans notre quête d’amour. À cette stratégie de base viennent se greffer les stratégies “ optionnelles ”. L’enfant a tellement besoin d’amour qu’il est prêt à tout faire pour l’obtenir.

La séduction est un des ces moyens. L’enfant apprend qu’en étant gentil, poli, doux, il mérite l’amour plus facilement. En grandissant, il essaie de faire plaisir à tout un chacun pour être aimé, tâche particulièrement difficile qui relève du miracle.

D’autres apprennent que, s’ils sont parfaits, ils sont alors considérés, estimés et qu’on s’occupe d’eux avec plus d’attention. C’est alors la stratégie de la performance. L’amour ne s’obtient qu’en réussissant dans tout. “ Sois parfait et tu gagneras ”. Mais la perfection en tout relève aussi du miracle et comme les miracles sont rares, le besoin d’amour n’est jamais comblé.

D’autres apprennent que ce sont dans les moments pénibles qu’on s’intéresse le plus à eux. Alors, il peut se structurer la stratégie de la pitié.Pauvre de petit moi ” toujours aux prises avec la maladie ou la dépression, tout ça dans l’espoir qu’enfin les autres déverseront leur amour pour compenser tous les malheurs rencontrés.

Plusieurs autres stratégies peuvent être mises au point dans notre quête d’amour. Les comportements et les attitudes qui, dans notre enfance, payaient le plus en amour deviennent des stratégies utilisées également une fois adulte.

Si l’enfance se termine sur le plan physique, elle se prolonge parfois indéfiniment sur le plan psychologique. Le corps grandit ; mais l’enfant en nous reste petit, toujours avide d’amour et prêt à tout faire pour l’obtenir. Et c’est là que le drame commence et conduit à l’impasse. Nous avons appris à recevoir l’amour en affichant notre masque du paraître, notre ego public passe-partout et ainsi, tout ce que nous pouvons récolter est un amour conditionnel, un amour mérité uniquement à la condition de maintenir ce masque du bien paraître. Je ne peux plus me montrer tel que je suis de peur d’être rejeté, de ne plus être aimé et de ne plus m’aimer moi-même. Et la quête se poursuit puisque l’amour reçu n’est jamais assez nourricier. Tant que nous achetons un amour qui ne peut être que conditionnel, nous sommes toujours frustrés, puisque le seul amour dont nous avons vraiment besoin est un amour inconditionnel qui seul accorde le droit d’être soi-même. Ce dont on a besoin, c’est d’être aimé pour ce que l’on est, non pour ce que l’on fait ou paraît être. Mais voilà que cet amour ne peut s’acheter, s’exiger, se demander. On ne peut strictement rien faire pour avoir cet amour inconditionnel, si ce n’est que de mourir à son besoin d’acheter un amour conditionnel.

En renonçant à l’amour conditionnel, on s’accorde le droit d’être. L’ego privé peut maintenant grandir hors de sa coquille étouffante. L’amour de soi peut jaillir en soi et se déverser hors de soi. Le renoncement à l’amour conditionnel sème l’amour inconditionnel en soi. Rien ne sert de faire des efforts pour avoir l’amour de ses semblables ; face à l’amour, on ne peut qu’être, qu’être soi. Il est important de bien saisir l’impasse dans notre quête d’amour. Tant que l’on fait quelque chose pour obtenir l’amour des autres, on n’obtient qu’un amour conditionnel. On est alors aimé pour ce que l’on fait ou paraît être, mais non pour ce que l’on est en soi. Lorsqu’on renonce à cette stratégie pour acheter un amour conditionnel, on reconquiert son droit d’être, son droit à l’authenticité en découvrant où est la véritable source d’amour : en soi. Tant qu’on ne renonce pas à bien paraître pour être aimé, on demeure dans l’impasse : on a besoin de l’amour de l’autre pour s’aimer soi-même et si on perd son amour, on perd l’amour de soi.

La base de l’amour : l’amour de soi.

L’enfant est incapable de renoncer à l’amour conditionnel des parents. Pour lui, c’est une réelle question de vie ou de mort et son amour de lui-même est inséparable de l’amour qu’il reçoit des autres. Cet enfant doit grandir pour que l’adulte prenne progressivement sa place. Un cordon doit alors être coupé ; ce ne sont plus les autres qui doivent nous nourrir de leur amour, mais nous devons être capables de produire cet amour en nous-mêmes. Le processus de maturation psychologique exige des ruptures et des renonciations et celles-ci sont souvent vécues comme une perte totale, comme une véritable mort psychologique. Or, mourir psychologiquement n’est pas une petite affaire. Cette mort intérieure correspond à la mort de l’enfant en nous qui quête son amour conditionnel quotidiennement. Le chemin pour sortir de l’impasse de l’amour conditionnel passe par l’authenticité. Tant que mon ego public qui repose sur mon désir de me faire accepter par mon bien paraître ne meurt pas, mon ego privé, qui repose sur le besoin d’être soi-même, reste toujours enfant et ne grandit plus, enfermé dans une coquille qui le protège, mais l’étouffe aussi. En théorie, le chemin est simple, mais, pour le parcourir, il faut vraiment mourir à son ego public. Et mourir fait toujours peur. Le risque “ mortel ” d’être soi doit être accepté pour que l’ego privé grandisse et s’unifie en lui-même (croissance psychologique) avant de pouvoir s’unir à plus grand que lui (croissance spirituelle). Il est évidemment possible de se contenter d’un amour conditionnel à son bien paraître toute sa vie, mais il faut dès lors accepter la frustration qui accompagne cette quête d’amour ; puisque ce besoin de recevoir ne sera jamais comblé dans nos relations amoureuses.

En fait, notre quête d’amour conditionnel est en définitive une recherche de l’amour de soi. Dans l’état amoureux (souvent confondu avec l’acte d’aimer), l’amour de soi, en soi, qu’à fait jaillir l’autre, est le plus nourrissant, le plus vivifiant et cette source d’amour continue à couler “ conditionnellement ” à sa présence. Dans l’amour véritable, la source d’amour coule toujours en soi, d’elle-même sans qu’autrui la fasse jaillir ; elle coule sans condition, elle coule en soi et se répand hors de soi, gratuitement et sans fin.

Très souvent, c’est l’expérience de s’aimer que nous vivons à travers l’illusion d’aimer l’autre. Mais le véritable amour de l’autre doit être précédé de l’amour de soi. L’amour ne peut être donné que s’il est déjà en soi, comme il peut être véritablement reçu que s’il est déjà en soi. Sans l’amour de soi, aucun amour à donner, aucun amour à recevoir, que le vide. Il suffit d’observer une personne qui ne s’aime pas pour découvrir que l’amour des autres de l’atteint jamais. À travers la recherche d’amour des autres, à travers nos efforts pour nous faire aimer, c’est l’amour de soi qui est recherché et nous en sommes inconscients. L’autre devient essentiel pour s’aimer soi-même comme les jugements positifs de papa-maman étaient essentiels pour que l’on puisse s’aimer soi-même. Notre quête d’amour conditionnel est en réalité une tentative pour s’aimer soi-même, mais une tentative vaine. Même si nous récoltons l’amour des autres, c’est notre paraître qui est aimé, notre façade. Nous sommes alors aimés pour ce que nous paraissons, non pour ce que nous sommes vraiment. L’amour ne passe jamais à travers un masque, mais à travers la lumière de l’authenticité. Que d’impasses sur le long sentier de l’amour! Confondre “ l’expérience d’aimer ” et “ l’expérience d’être amoureux ” ; croire aimer son semblable alors qu’on ne fait que s’aimer à travers lui. Le seul guide sur ce long chemin est l’amour de soi, car sans lui la route demeure parsemée d’impasses et de pièges. Il est si facile de tomber dans le piège du “ pas assez ” qui conduit à espérer que l’autre me donne à satiété ce que je n’ai jamais reçu de papa-maman. Il est si facile de tomber dans le piège du “ faire pour ” ; faire tout pour me faire aimer en étouffant mon être véritable sous la belle image du bien paraître. Il est si facile de tomber dans le piège du “ pas possible ” doutant constamment que l’autre puisse m’aimer véritablement pour ce que je suis, ne pouvant croire à l’amour de l’autre parce que je ne m’aime pas moi-même.

L’amour-chemin.

L’amour est un chemin qui me conduit tendrement vers toi en passant par le “ nous ” pour me ramener finalement vers moi-même. Au début du voyage mes “ je te veux ” passent facilement au “ je t’en veux ” au gré des satisfactions et des frustrations qui émergent en moi. “ Je t’aime ” signifie plutôt “ aime-moi ”, “ donne-moi ”, au lieu de “ je donne ”, “je me donne ”, “ je m’abandonne à toi ”. Et si poussent les belles fleurs de la passion  et du désir, les épines de la possession et de l’insécurité piquent ma conscience souffrante à l’idée de perdre ton amour qui me fait m’aimer moi-même. C’est d’abord par la route de “‌ l’avoir/recevoir ” que l’amour commence le voyage, là où domine mon besoin “ d’être aimé ”. Et mes blessures d’amour répétées m’enseignent qu’il n’y a rien à faire pour “ gagner ” l’amour, que tous mes efforts sont vains, puisqu’il n’y a jamais assez d’amour pour moi en moi. Meurs ainsi l’illusion de pouvoir recevoir l’amour par mes efforts pour bien paraître.

Alors s’achève le chemin de l’avoir/recevoir et commence le chemin de “ l’être amour ”. Ce chemin est sans issue sans l’autre pour guider le passage. Et, pour déposer le pied sans blessure, une question doit être posée avec pleine vigilance : Est-ce que j’accorde à l’autre le droit d’être ce qu’il est dans sa totalité ? Si la réponse est oui, alors mon pied rendu léger se pose sur le chemin sans souffrance. Si la réponse est non, alors je suis encore trop lourd. Mes possessions et mes peurs de na pas avoir/recevoir m’encombrent et me font souffrir, car sur ce chemin : rien à avoir, rien à recevoir, tout à donner, tout à abandonner, rien qu’à s’abandonner, rien qu’à être. Alors dans ma rencontre avec un autre voyageur, je dois me rappeler cette question. Et c’est grâce aux innombrables NON répétés que l’amour-chemin me ramène fidèlement à moi-même après être passé par l’autre. La rencontre avec l’autre me ramène à mon avidité qui crie : Tout pour moi, tout à moi, rien qu’à moi, croyant à la légitimité de ma demande et terrifié à l’idée de perdre.

En toute vigilance, me poser cette seule question peut me transformer au fil de mes pas. C’est alors que la percée de l’être s’effectue, transformant le chemin de l’avoir/recevoir en celui de l’être-amour qui sont les deux aspects d’un seul et unique chemin. Seule l’attitude change en cours de route, me permettant de réaliser non seulement que l’amour n’est pas mérité par mon bien paraître, mais surtout que, de toute façon, l’autre ne pourra jamais combler mon manque d’amour, que ma demande d’amour restera toujours sans réponse, puisque l’amour relève de l’être, non de l’avoir : l’amour est essentiellement en soi et il est vain de le chercher hors de soi.

En effet, l’amour n’est pas quelque chose “ que j’ai ” mais quelque chose “ que je suis ”, quelque chose qu’il est impossible de perdre, puisque je ne peux perdre ce qui relève de l’être. Ce qui relève de l’être ne peut être “ caché ”, ni “ se taire ”, au risque d’engendrer le “ manque-à- être ”. Et c’est justement le manque-à-être qui crée l’illusion d’un manque d’amour que j’espère voir comblé par l’autre. Comme l’amour ne relève pas de l’avoir mais de l’être, nul ne peut avoir de l’amour pour moi, on ne peut “ qu’être amour ” pour moi. Mon manque-à-être ne se transforme de lui-même que dans le “ don ”, la “ révélation ”, la “ transparence ” de mon être à l’autre. Sur le chemin de l’être-amour, il n’y a rien à avoir, rien à recevoir, rien à attendre que “ mon être à tendre vers l’autre ”, avec toute la tendresse d’un être qui s’abandonne à l’autre pour l’atteindre au cœur de son être. Tendre son être pour atteindre son semblable en créant l’unité en soi et en l’autre. L’amour devient alors communion. Ainsi, l’être grandit pour devenir amour sur le chemin de l’être-amour. Je deviens libre d’être, libre de toute attente face à l’autre. Je suis alors apte à tout accueillir de l’autre, d’accueillir son être dans sa totalité, qui ne se laisse jamais posséder, qui ne peut que passer en moi en créant l’unité, en créant l’amour.

Franchir les étapes de l’amour.

L’être humain doit franchir plusieurs étapes dans son processus de développement. Il en est de même dans sa capacité d’amour.

L’amour se vit d’abord sous le mode de l’avoir. Il est cette “ chose ” que l’on cherche à recevoir. L’adulte vit souvent l’amour sous le mode de l’avoir, comme cette chose précieuse qu’il faut rechercher hors de soi, pour se sentir enfin comblé. Même hors de l’état amoureux, nos rapports avec autrui reposent toujours sur la crainte de rejet et de la perte d’amour, puisque l’amour est encore ce quelque chose qu’il faut avoir pour être bien. Nous reproduisons exactement le mode de relation infantile, où l’enfant voit dans le parent celui qui possède le pouvoir de donner ou non son amour. Nous reproduisons nos stratégies de quête d’amour, la principale étant de bien paraître, l’être véritable demeurant caché, redoutant trop le rejet. Mais vivre l’amour sous le mode de l’avoir conduit aux impasses répétées ; jamais la terre promise n’est atteinte, ou, si on y accède, ce n’est que pour un instant toujours trop bref. C’est grâce à ces impasses et à ces souffrances amoureuses que la personne évolue vers un amour vécu sous le mode de l’être.

C’est l’étape de l’authenticité, de l’être-soi qui favorise ce passage de l’avoir-amour vers l’être-amour. L’authenticité amène la personne à privilégier son besoin d’être sur son besoin d’être aimé (avoir/recevoir l’amour). Avant de franchir cette étape de croissance psychologique, la personne est, sur le plan affectif, toujours “ branché ” sur l’autre pour s’aimer elle-même en se nourrissant de l’amour de l’autre. Mais, dans le long processus de croissance, de nombreuses périodes de ruptures sont essentielles pour conduire l’individu à une autonomie plus grande. La maturité affective exige une série de détachements, la personne acceptant alors de perdre ce qui est considéré comme vital, mais qui en même temps devient une limite à son autonomie et à son bien-être. L’authenticité est une étape de renoncement à un amour vécu sous le mode de l’avoir qui engendre la dépendance et la soumission affectives. L’être-soi l’emporte sur l’avoir-amour. La personne accède à une plus grande autonomie et à un nouveau centre de préoccupation ; le “‍ comment être aimé ” cède la place au “ comment aimer ”. La personne se centre de moins en moins sur elle-même et de plus en plus sur autrui. Franchir l’étape de l’authenticité est certes difficile et de nombreux moyens de compensation sont employés pour tenter de combler ce manque-à-être toujours vécu comme un manque d’amour compensé dans l’avoir : avoir un statut, avoir de l’argent, avoir des biens matériels. Et l’individu est entraîné dans une course sans fin sur le chemin horizontal de l’amour sans jamais réussir à étancher cette soif d’amour que les compensations orales (alcool, drogue, tabagisme) ne satisferont que pour un bref instant. Tant que la personne n’a pas foulé le chemin vertical de l’être, elle demeure aux prises avec ses frustrations existentielles.

La personne qui privilégie son être réel par rapport aux réactions et aux jugements des autres (Je choisis d’être, quel qu’en soit le prix) accomplit ce nécessaire détachement qui l’amène à découvrir que la source d’amour est en soi, non, hors de soi. Elle découvre qu’elle peut s’aimer elle-même sans dépendre de l’amour des autres ; son cordon ombilical affectif est rompu. La maturité physique et la maturité affective coïncident. Cette nouvelle étape la rend candidate à la croissance spirituelle. La personne est prête à faire un nouveau pas sur la voie de l’amour universel et de la conscience.

Lire la suite. Franchir les étapes de la conscience : la dimension spirituelle.


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  1. Jocelyne Bissonnette

    Pierre,
    J’ai partagé cette publication aux personnes que j’aime. Ta chronique doit être lue et ton travail reconnu. Elle me fait réfléchir… Ce sont des paroles de sage.
    Merci et gratitude

    Jocelyne 😘

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